dimanche 29 avril 2012

Livre : Capitalisme, désir et servitude - Frédéric Lordon

Proposition de lecture jubilatoire et éclairante sur la motivation du salarié dans l'entreprise néo-libérale.
Comme souvent avec Lordon, le style est intense, exigeant et riche tout en restant accessible à l'analyse par celui qui s'en donne la peine.
Ce livre est à recommander chaudement pour prendre le recul nécessaire sur sa propre condition de travailleur inconscient des moteurs de sa motivation à l'ouvrage. Il est de nature à changer profondément votre regard sur la vie et le monde.





Pourquoi "Marx et Spinoza", tout d'abord ?
En deux mots selon l’auteur même, il s'agit de "compléter le structuralisme marxien des rapports par une anthropologie spinoziste de la puissance et des passions".
Qu'est-ce à dire ?
  • Le structuralisme marxien, pour schématiser à outrance, analyse les rapport entre individus et groupes d'individus au sein des sociétés (capitalistes, évidemment). C'est une analyse des structures sociales et des rapports de forces qu'elles implémentent qui cerne du coup l'individu par son extériorité.
    De son extériorité vers l'individu.
  • L'anthropologie spinoziste s’attache à cerner les ressorts internes de l'individu (affects, passions, désirs...) qui conditionnent ses comportements extérieurs, sociaux. C'est une analyse des motivations internes profondes (alias : conatus chez Spinoza, volonté de puissance chez le moustachu, frustration fondamentale pour moi...) qui cerne donc l'individu par son intériorité.
    De l'intériorité de l'individu vers son extériorité.
On voit donc assez bien comment les deux approches peuvent se compléter pour aboutir à une sorte de "théorie unifiée" de l'analyse psycho-sociologique.


Petite analyse synthétique très personnelle et sur le pouce pour aboutir à une conclusion sur la montée des nationalismes et xénophobies en périodes de crise :

Cet ouvrage dense, en faisant la synthèse manquante entre Spinoza et Marx (oubliez tout de suite ce charabia :), analyse les rouages mentaux et sociaux qui structurent nos entreprises et la relation salariale où nous nous trouvons.

On apprend qu'in fine il s'agit d'un mécanisme d'enrôlement où l'argent-pouvoir est la carotte principale et la volonté de puissance (de pouvoir, de domination même mesquine, on fait ce qu'on peut, d'influence, de reconnaissance...) le ressort principal. Cet enrôlement, institutionnalisé grâce aux valeurs sociales ainsi que la monnaie en vigueur - médium incontournable de la survivance sociale et présenté comme tel - est ce qui va permettre au dirigeant, et au-delà à l'actionnaire, de mobiliser des foules pour poursuive ce qui est Son désir-volonté en l'imposant à tous.

L'un des intérêts principaux de cette analyse est de mettre à nu les structures de pouvoir comportemental et d'enrôlement qui sont à la fois ramifiées (elles infusent toute la société), individuellement intégrées (elles sont en prise au sein même de nos comportements individuels profonds et les constituent) puissantes et incontournables : le salarié est mis dans une position d'hétéronomie (antonyme d'autonomie) car il ne peut satisfaire à ses besoins vitaux (donc assurer sa survie) que grâce à l'ensemble du système économique. Il est donc rendu totalement dépendant, et donc esclave.

Ainsi lorsqu'un impératif de contrainte violent, par exemple financier, est distillé à la tête du management (réduction des coûts, budgétaire, augmentation de la marge de profit) il se répercute dans toutes les ramification de pouvoir jusqu'au plus bas niveau. Chaque individu reçoit de son supérieur la contrainte plus forte, donc la mise à risque de sa survie (non-remplissage de ses objectifs individuels), et va la répercuter sur ses subordonnés. Un système où chacun est esclave, quel que soit son niveau hiérarchique. Kafka, ou Brazil.

Ce que laisse apparaître cette rapide synthèse de l'analyse lordonnienne spinozo-marxiste, et je terminerai là dessus, c'est que l'imposition d'une contrainte déraisonnable au regard de la vie humaine au sommet de la "pyramide" implique en cascade l'apparition de la violence à tous les étages de la construction sociale. Les affects tristes liés à la remise en cause de sa survie par l'augmentation des exigences subies par chaque manager se traduisent par un stress latent, un mal-être, qui se doit d'être exprimé d'une manière ou d'une autre :
  • Sur les subordonnés (mais cela n'épuise pas les affects tristes, l'humanité n'ayant pas été chassé de tous les cerveaux, même ceux des managers)
  • Sur les sous-traitants et fournisseurs
  • Sur la famille, les proches, par ricochet (augmentation des violences et violences familiales en Grèce par exemple
  • Sur soi (suicide)
  • Sur des boucs-émissaires, généralement désignés

Pour ma part c'est par ce dernier élément que je m'explique la récente remontée (importante) du nationalisme et surtout, chez nous, de la xénophobie.
Résurgence alimentée par une classe politique de droite conventionnelle qui attisent ce sentiment à des fins bêtement électoralistes, les légitimant par les prises de positions gouvernementales ouvertement anti-étrangers, fautifs coupables désignés.
Résurgence alimentée également par une gauche conventionnelle qui, en dehors de n'avoir plus rien de socialiste, n'a pas le cran de monter au créneau. Le combat n'est plus le leur : il se contentent d'occuper le terrain laissé brûlé par un bilan catastrophique d'une droite qui se radicalise tout en proposant de continuer dans la même politique du lance-flammes (austérité, soumission à la sphère financière).

Il semble que le rapport de domination salarial exacerbé, et ses émanations de violence endogène, ait de beaux jours devant lui...

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