vendredi 26 juin 2009

La crise économique pour les nuls : origine, propagation et conséquences

Pour ceux qui n'auraient pas encore totalement saisi et avec un peu de recul, voici exposés les mécanismes de la crise économique actuelle, depuis son origine jusqu'à ses conséquences et les perspectives d'avenir à envisager.

Crédits subprime et crise immobilière

A l'origine de la crise sont les crédits subprime dont nous avons tous entendu parler et qui consistent à octroyer des prêts immobiliers à des particuliers dans des conditions pour le moins acrobatiques.

La recette est simple (si ç'avait été compliqué, nos chers bankers n'auraient pas pu la réaliser à si grande échelle... ;) :
  • Prendre un pauvre (nous conserverons cette terminologie abusive dans le reste du document pour "acquéreur subprime") en situation difficile, pourquoi pas sans travail officiel voire sans papiers, ce n'est pas très grave et en plus c'est assez facile à se procurer : il y en a plein aux US, notamment parmi les immigrés mexicains...
  • Lui proposer de devenir propriétaire (Qui n'en a jamais rêvé ?) : un peu de poudre aux yeux pour ferrer le pigeon et hop, dans le sac!
  • Lui octroyer un crédit à un taux fixe bas les deux premières années puis un taux révisé les vingt-huit années suivantes : bien sûr, éviter de trop s'étendre sur la seconde partie du plan...
Le banquier n'est pas dupe, il sait que le pauvre ne pourra sans doute pas rembourser sa dette. Il s'est donc assuré que la maison servirait d'hypothèque en cas de défaut pour rembourser l'argent emprunté. Tant que le prix des maisons augmente, les banquiers s'enrichissent sur les intérêts puis recouvrent leur capital initial lors de la vente du bien. Quant aux pauvres, ils ont eu une illusion de richesse et de stabilité pendant deux-trois ans, puis retournent tranquillement habiter leur mobile-home... [1 : cf. BD ci-contre ou note en fin d'article]

L'octroi à tout va de prêts génère un formidable appel d'air pour la construction immobilière. Une bulle économique et spéculative se forme, des milliers de logements individuels sont construits.
Octroi de crédits => Appel d'air pour la construction immobilière => Création d'emplois => Candidats aux prêts => Octroi de crédits => ...
Le système s'auto-entretient un temps, mais les bulles finissent toujours par éclater...

PLOP !!
Les prix des maisons n'ont pas de raison d'augmenter indéfiniment (Étonnant non ? On pourrait se poser la même question à d'autres égards, mais ce n'est pas le sujet...) : quand un nombre important de pauvres est forcé à vendre sa maison en même temps, les prix chutent (trop d'offre, pas assez de demande).

Le banquier, qui s'est enrichi jusque là sur les intérêts, ne retrouve qu'une partie de son capital de départ : la valeur de l'hypothèque (le bien) est devenue inférieure au capital prêté, situation mal envisagée dans les hypothèses initiales. Le banquier avait omis de considérer le risque de baisse du marché immobilier, baisse accentuée par la vente massive d'innombrables biens "subprimé" hypothéqués par les banques elles-mêmes ! Game over.

Et là tout s'enchaîne... (à ce moment précis, si vous êtes banquier, vous commandez votre carte de fidélité Pampers ou achetez une corde - au choix)



La diffusion des crédits à travers le monde

L'histoire ne s'arrête pas là : notre banquier malin a "titrisé" les crédits octroyés sous forme de RMBS (Residentiel Mortgage Back Solvability) ou "titre hypothécaire" pour pouvoir les revendre plus facilement à ses potes banquiers mais aussi pour éviter d'immobiliser des capitaux .
(Quand une banque prête de l'argent, elle doit immobiliser - c'est à dire conserver - un pourcentage de l'argent prêté. Ceci pour éviter, entre autres, que la banque ne fasse faillite en cas de défaut de son emprunteur. La titrisation lui évite cette immobilisation de capitaux qui "coûte" de l'argent en la faisant porter par d'autres via les marchés financiers)

Ensuite, les différents titres hypothécaires ont été regroupés, mélangés puis divisés par tranches en fonction de leur risque :
  • Unsecured / Très risqué => fort rendement 12%
  • Mezzanine / Risque normal => rendement normal 9%
  • Senior Secured / Peu risqué => faible rendement 7%
Abracadabra : les prêts immobiliers aux pauvres ont disparus ! Place aux "titres" qui vont alors pouvoir être véhiculés un peu partout dans le monde et s'échanger sur les places boursières sans que personne ne se pose vraiment de questions sur leur origine. Après tout, l'information sur le rendement espéré est bien suffisante... Nos chers banquiers ont juste légèrement oublié que le rendement rémunérait le risque : fort rendement = fort risque. Mais ce n'est qu'un détail... [2 : vidéo explicative - cf. note en bas de page]

La transmission à l'économie réelle

Pendant longtemps (quasiment jusqu'en août 2008 alors que la bulle immobilière a éclaté au premier semestre 2006 aux États-Unis), des économistes soutenaient la thèse du découplage selon laquelle la crise se cantonnerait aux États-Unis et que la sphère financière n'atteindrait pas l'économie réelle. Thèse assez étrange qui montre bien que les banques ont oublié un de leurs rôles fondamentaux : faciliter la circulation des capitaux, i.e. emprunter l'argent aux personnes qui ont des excédents et le prêter à ceux qui en ont besoin. Aujourd'hui, on ne peut plus nier les impacts de la sphère financière sur l'économie réelle.

Il est pourtant assez évident qu'en touchant le secteur immobilier via les prêts, la finance prenait le risque d'amorcer une bulle spéculative immobilière. L'immobilier est un secteur qui représente près de 6% des emplois aux États-Unis (services financiers, équipement du logement, transport...) et qui affecte directement les ménages.

Or, l'économie américaine est en grande partie basée sur la consommation des ménages : elle dépend donc essentiellement des éléments présentés sur le schéma suivant et sera donc fortement impactée par toute évolution de ces derniers :



Dès août 2007, les effets des subprimes commencent à se faire ressentir sur les banques qui avaient massivement investi dans ces titres. Certaines firent défaut puis faillite un peu plus tard... La valeur des actions des banques dégringola, transformant alors la crise immobilière en une crise boursière.

Un climat de méfiance s'installant, les banques cessent alors de remplir leur rôle de financement de l'économie réelle. Très frileuses, elles n'octroient plus de prêts aux entreprises : la crise devient une crise du crédit.

Et enfin, le quatrième effet kiss-coule donnant sa quatrième dimension à cette crise : l'augure d'une récession économique... (arrivée en France officiellement, mi-mai 2009) Nos sociétés étant fondées sur l'hypothèse de croissance de la consommation, et celle-ci étant financée indirectement et directement par le crédit, ...

Pour information, le FMI ne recense que quatre évènements, au cours des cinq dernières décennies dans les pays de l'OCDE, (milieu des années 70 avec les deux chocs pétroliers, le début des années 80, le début des années 90 et enfin la bulle Internet en 2000) pour lesquels les quatre dimensions coexistaient (bulle spéculative, crise boursière, contraction du crédit et récession). Nous serions en train de vivre la cinquième. [3]

Contre-mesures

On peut alors se demander quelle va être la réaction de la société pour se protéger des effets de cette crise, ce qui se réduit à considérer ce que vont décider les gouvernements en place. Deux grandes solutions s'offrent à eux face à la nécessité impérieuse de maintenir en fonction un système bancaire (et non financier) nécessaire à l'économie :
  • Nationalisation / Privatisation des profits, privatisation des pertes
    La première solution, la plus libérale paradoxalement, consiste à laisser les banquiers et leurs actionnaires assumer leurs erreurs et donc leurs pertes : les établissements font faillite, les pertes sont distribuées à bon droit.
    Enfin l'état (les citoyens) se rapproprie l'ensemble déchu au prix de l'Euro symbolique, restructure les créances (l'état est le seul à pouvoir d'autorité altérer les contrats existants) et ainsi fait renaître la machine bancaire.
  • Sauvetage / Privatisation des profits, collectivisation des pertes
    La seconde solution parait aberrante. Elle consiste à compenser les erreurs et les pertes des banquiers et de leurs investisseurs complices en leur injectant massivement des capitaux.
    L'état (c'est à dire les citoyens) donne des sommes colossales aux banques afin de les refinancer suite à leurs erreurs. Les profits générés jusque là au détriment de l'économie qu'elles ont déstabilisée leur restent acquis (privatisation des profits), leur pertes sont supportées par tous les contribuables via la ponction sur le budget de l'état du plan de sauvetage des banques (collectivisation des pertes).
    Je ne sais pas vous, mais personnellement cela me donnerait juste l'envie de lancer des pavés dans les vitrines des banques que je croise, si cette solution était retenue...
Je vous le donne Émile : quelle solution ont choisi nos instances dirigeantes, ici comme aux Etats-Unis ???

De manière plus générale, afin d'inciter un maintien de la consommation, les banques centrales abaissent leurs taux, ce qui a pour conséquence directe de faire baisser les taux des crédits immobiliers ou à la consommation. Cette mesure est censée réprimer le mouvement de refuge dans l'épargne qui sinon serait immédiat chez les consommateurs légitimement inquiets. (Le terme consacré est "fermer la trappe à liquidités")

Une petite déflation pour dessert ?

Dans la situation actuelle (PIB au plus bas, inflation négative), certains économistes craignent l'enclenchement d'une spirale déflationniste.

La déflation est une situation dans laquelle il y a une baisse entretenue du niveau général des prix (c'est à dire tous les jours les soldes pendant plusieurs années : chaque jour les produits se vendant moins cher que la veille). C'est une situation relativement rare et qui n'est apparue que deux fois au cours du siècle dernier : 1970 et 1930.
Hors les conditions de l'amorçage d'un cycle déflationniste n'ont jamais été si fortes qu'aujourd'hui. On observe des chutes brutales (notamment du prix des matières premières) qui risquent d'engendrer cette spirale déflationniste. Nous allons aborder le mécanisme déflationniste avec le schéma suivant.

Le schéma ci-dessous décrit la spirale déflationniste évoquée par Irvin Fisher, économiste américain, à l'occasion de la crise de 1929.


Le cycle explicité en quelques points :
  • L'amorce s'est faite via le maillon du "taux de défaut" : les prêts subprime inconsidérés des banques ont généré des légions de débiteurs en cessation de paiement (en défaut), ce qui a induit une frilosité des banques prises à leur propre jeu (rationalisation du crédit)
  • La consommation étant financée en partie par le crédit, la rareté de ce dernier la freine (consommation, investissements : en baisse) - combien de PME en plein boum n'arrivent actuellement pas à trouver de financement pour leur expansion saine ?
  • La chute de la consommation entraine une baisse des salaires : c'est elle qui les paie ! Dès lors, un foyer qui supportait des traites de crédit à hauteur de1000€/mois pour un revenu de 3000€/mois voit son revenu chuter à 1500€/mois : son pouvoir d'achat s'effondre à cause de cette augmentation de la "charge de la dette".
  • La chute du prix des actifs (déflation) est en parallèle accentuée par les liquidations forcées (e.g. : hypothèques liquidées par les banques pour tenter de rentrer dans leurs frais).
  • Elle impacte l'effet de richesse des ménages et par là accentue le taux de défaut (faillite) et naturellement la dégradation de la consommation (en pemier, on mange, ensuite on voit ce qui reste).
Cette approche du cycle est centrée sur les particulier. Il faut bien avoir en tête que les mêmes mécanismes s'appliquent aux entreprises.

Et la suite ?

Quelles que seront qualitativement les suites de cette descente, l'ensemble des indicateurs (il faut remonter en 1929 pour leur trouver une pareille...) ne laisse certainement pas augurer des lendemains qui chantent. Ni des surlendemains.
La récession s'annonce durable (contrairement à nos modes de vie et de production) et ceux qui, là haut, affichent un optimisme doucereux (on nous annonce la reprise dès 2010. Youpi, tout va bien, continuons à l'identique sur notre lancée) sont soit d'une naïveté crédule soit d'une mauvaise foi de profession (ce sont des politiciens).

De toutes les crises que l'humanité a vécu jusque là, elle n'a jamais su retirer quelconque enseignement ; après chaque crise, le cycle reprend immanquablement et nous entraine jusqu'à la prochaine. Si de celle-ci nous nous relevons trop vite, en faisant fi de toute évolution nécessaire (la pédanterie humaine ainsi que les collusions d'intérêts égoïstes de minorités nanties y contribueront lourdement), nous nous jetterons une fois de plus dans un nouveau cycle qui se terminera par une crise. [5]
Et ainsi de suite... jusqu'à ce que l'écosystème ne le permette plus.

Trois visions de l'évolution de l'humanité dans le temps : en progrès constant, en régression constante, en stagnation oscillatoire autour atour d'une valeur désespérément constante. Curieusement la dernière s'impose à moi malgré toute tentative d'optimisme...


Notes :
[1] Les subprimes en BD
[2] La diffusion des titres hypothécaires subprime expliquée avec des coupes de champagne (VO)
[3] What happens during recessions, crunches and busts
[4] Reportage Arte "Le malheur est dans le prêt", de Kersten Schüßler

[5] Cf. la situation de "stop-and-go" que subit le Japon depuis les années 90.

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